« Seuls Qualcomm et Sequans sont aujourd’hui en passe de pouvoir fournir un portefeuille complet de puces 4G et 5G pour l’IoT »

Olivier Pauzet Sequans

Olivier Pauzet, vice-président marketing et stratégie de Sequans, revient pour L’Embarqué sur les récentes annonces de la société de semi-conducteurs française, et notamment sur l’accord signé durant l’été dernier avec l’américain Qualcomm. M. Pauzet évoque aussi les fortes ambitions de Sequans sur le marché émergent des puces 5G pour l’Internet des objets massif.

Au cours de l’été 2024, Sequans a cédé à Qualcomm ses technologies de communication 4G taillées pour le marché de l’Internet des objets (IoT). Quelles sont les origines de cet accord ?

OLIVIER PAUZET Depuis sa création, la force de Sequans a toujours résidée dans sa maîtrise de technologies de communication sans fil. La société s’est d’abord investi dans la technologie WiMAX, puis s’est orientée vers la 4G LTE à partir de la fin des années 2000, et plus récemment sur les technologies radio pour l’IoT. Avec un focus particulier sur la basse consommation et le coût, nous avons développé des puces très optimisées et des IP très spécifiques qui ont fini par intéresser fortement le marché. Ainsi le groupe japonais Renesas s’est déclaré en 2023 prêt à acquérir Sequans pour la somme de 250 millions de dollars, acquisition qui finalement n’a pas pu se réaliser pour des questions fiscales au Japon. L’opération était pourtant très bien engagée et il a fallu que Sequans se remettre en ordre de bataille pour relancer des négociations avec d’autres partenaires potentiels.

Dans ce cadre, les discussions avec la société Qualcomm, intéressée pour acquérir certaines de nos technologies, ont pu aboutir il y a quelques mois

Quels sont les termes exacts de cet accord signé avec Qualcomm ?

OLIVIER PAUZET Dans les faits, Qualcomm a acquis pour 200 millions de dollars nos blocs d’IP LTE Cat-M et Cat-1bis destinées au marché de l’Internet des objets. Sequans reste donc une société totalement indépendante et Qualcomm nous a cédé une licence perpétuelle pour continuer d’utiliser ces IP, en particulier dans nos puces actuelles des familles Monarch 2 (LTE-M/NB-IoT) et Calliope 2 (LTE Cat-1bis). Nous avons également la possibilité de faire évoluer ces IP pour nos propres besoins.

En estimant à 200 millions de dollars nos IP LTE Cat-M et Cat-1bis, Qualcomm a confirmé la très forte valeur de nos technologies.

Quelles en sont les conséquences sur les activités de Sequans ?

OLIVIER PAUZET Plus globalement, l’accord signé avec Qualcomm a deux conséquences très importantes pour Sequans. D’abord, c’est une reconnaissance de notre technologie, que nous considérons comme unique sur le marché. Il fallait convaincre… C’est désormais chose faite et la qualité de notre offre ne peut plus être mise en doute.

Par ailleurs, sur le plan financier, c’est un changement très important pour Sequans qui affiche désormais un bilan solide. Au troisième trimestre 2024, selon des résultats préliminaires, la société a affiché un bénéfice net de 87 millions de dollars (contre des pertes nettes de 7,8 M$ un an plus tôt). Nous anticipons une augmentation de notre chiffre d’affaires lié à la vente de produits au quatrième trimestre par rapport au troisième trimestre. Le chiffre d’affaires lié aux services restera à un niveau significatif, fort notamment du contrat de licence engagé avec Qualcomm.

Dans ces conditions, Sequans compte arriver à l’équilibre en 2026. Cette stabilité financière est particulièrement importante pour les clients qui cherchent des partenaires fiables sur le long terme.

Qu’en est-il aujourd’hui des développements de Sequans dans le domaine de la technologie 5G ?

OLIVIER PAUZET Nous avons pris la décision il y a quelques mois de mettre en pause nos développements pour le marché 5G large bande (Broadband 5G), que la société destinait aux équipements IoT nécessitant une connexion haut débit jusqu’à 2 Gbit/s. Désormais nous nous concentrons sur l’IoT massif (ou Massive IoT) tant au niveau de la 4G (avec nos puces Monarch et Calliope) que de la 5G avec nos futurs produits compatibles RedCap et eRedCap.

A cet égard je rappelle que Sequans a obtenu en mars 2024 un financement de 10,9 millions d’euros du gouvernement français via Bpifrance pour le développement complet d’une puce de nouvelle génération ciblant le marché de l’IoT massif et reposant sur la technologie 5G NR eRedCap.

Nous sommes confiants sur le fait que nous proposerons un design parfaitement optimisé en termes de consommation et de coût pour l’IoT massif, à la différence de nos concurrents qui se focalisent sur le marché 5G haut débit.

Quand les puces 5G RedCap et eRedCap de Sequans seront-elles disponibles ?

OLIVIER PAUZET Nous tablons sur une disponibilité en volume de nos puces 5G RedCap (connus pour l’heure sous le nom de Taurus LT) et eRedCap dans une fourchette temporelle comprise entre 2026 et 2028. Il faut, de fait, ne pas oublier que la technologie RedCap a été conçue pour tirer parti des infrastructures 5G SA Stand Alone (alors que les premiers déploiements concrets des réseaux 5G s’appuient sur une infrastructure 5G NSA Non Stand Alone).

Lancer dès aujourd’hui des puces RedCap ne nous semble pas pertinent tant que les infrastructures ne sont pas adaptées. Ce qui devrait être le cas d’abord aux Etats-Unis, puis en Europe où les choses commencent à bouger. Il faut aussi noter que bon nombre d’annonces de puces RedCap émanent de sociétés asiatiques qui ciblent le marché chinois et qui ont généralement adapté des designs de chips 5G haut débit conçus d’abord pour la téléphonie mobile. Ce ne sont pas forcément des puces purement dévolues au marché de l’IoT.

L'aspect géopolitique est également à prendre en compte. De nombreux pays recherchent aujourd’hui des solutions souveraines et notamment en Europe. Si l’on se limite aux fournisseurs américains et européens, seuls Qualcomm et Sequans sont aujourd’hui en passe de pouvoir fournir un portefeuille complet de puces 4G et 5G pour l’IoT.

Malgré l’accord signé entre Sequans et Qualcomm, les deux sociétés seront donc aussi en concurrence…

OLIVIER PAUZET Les deux sociétés sont effectivement concurrentes, mais Sequans a l’avantage d’être plus flexible, de pouvoir personnaliser ses designs en fonction des besoins spécifiques d’un utilisateur, et éventuellement de fournir des modules prêts à l’emploi pour faciliter la certification. Sequans peut aussi se positionner en alternative de Qualcomm pour les clients qui sont à la recherche d’une option différente du poids lourds américain.

Sur quels marchés de l’IoT la société Sequans est-elle présente ?

OLIVIER PAUZET Sur le marché de l’IoT massif, Sequans est présent depuis longtemps dans le domaine des compteurs intelligents, en particulier sur les compteurs d’eau avec la société Itron qui a retenu notre technologie Monarch 2 LTE-M/NB-IoT. Nos puces sont également utilisées dans les secteurs du suivi d’actifs, de la gestion de flotte (avec par exemple le leader américain Geotab qui utilise notre technologie Calliope LTE Cat-1bis), du médical (avec un client comme Withings en France) et de l’industriel au sens large.

Sequans a aussi récemment rejoint l’alliance Zencross créée par Murata afin de fournir clé en main toutes les briques constituantes d’un réseau IoT cellulaire, c’est-à-dire le hardware, le firmware et la plateforme de services réseau, y compris la gestion de la connectivité. Sequans apporte à Murata la technologie LTE Cat-1bis dont la société japonaise, qui a développé sa propre offre Cat-M1/NB-IoT, ne dispose pas en interne. C’est là encore une reconnaissance de notre savoir-faire et de la maturité de notre technologie au niveau international.

Pour résumer, je dirais que Sequans dispose aujourd’hui d’une technologie reconnue au niveau mondial dans laquelle un poids lourd comme Qualcomm a décidé d’investir, tout en nous laissant la latitude d’innover tant dans le domaine de la 4G que de la 5G. Nous sommes les seuls Européens à pouvoir en dire autant.

Propos recueillis par Pierrick Arlot