« Perspectives pour l'industrie électronique en 2025 : une anticipation “nerveuse” face aux incertitudes »

Tribune Insight SIP Nick Wood Perspective 2025

[TRIBUNE de Nick Wood, INSIGHT SiP] L'année 2024 s'est avérée beaucoup plus difficile pour notre industrie que ce que presque tout le monde avait prédit. Au début de l'année dernière, la plupart des observateurs prévoyaient un premier semestre difficile, suivi d'une reprise plus tard dans l'année. C'était à moitié vrai, mais malheureusement, pas la bonne moitié. L'embellie ne s'est jamais vraiment matérialisée. Bien que quelques rapports optimistes aient été publiés au quatrième trimestre, la plupart des entreprises d'électronique à grande échelle, c'est-à-dire les distributeurs ou les vendeurs de composants diversifiés, ont annoncé des revenus stables ou en baisse. Analyse de Nick Wood, directeur des ventes et du marketing chez Insight SiP.

Bien entendu, malgré cette vision globale quelque peu morose, l'industrie électronique n'est pas une entité monolithique. Par exemple, tous les acteurs du secteur du domaine de l'infrastructure de l'intelligence artificielle (IA) ont enregistré une croissance spectaculaire l'année dernière. Ainsi, TSMC, le plus grand fondeur de puces au monde, a fait état d'une augmentation de 50 % de son chiffre d'affaires dans le domaine dit de l’“informatique de pointe” que l’on peut interpréter comme signifiant “dispositifs de serveurs d'IA”.

Toutefois, au-delà de l'IA, il n'y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. Par exemple, l'automobile, un consommateur de plus en plus important de systèmes électroniques, a connu une faible croissance, entravée par les messages contradictoires concernant la transition vers les véhicules électriques. A l'approche de 2025, les analystes ont ainsi qualifié l'ambiance d’“anticipation nerveuse”. 

CAr, d'une part, les stocks des clients finaux constitués pendant la période post-pandémique ont mis beaucoup plus de temps que prévu à s'épuiser et d'autre part, les distributeurs, soucieux de conserver leurs liquidités, ont réduit leurs propres stocks. Or ce processus ne peut pas se poursuivre indéfiniment et, à moins de croire à une récession structurelle semi-permanente dans la fabrication d'appareils électroniques et de produits à forte teneur en électronique, la reprise doit arriver cette année. 

À l'heure actuelle, les acheteurs sont notamment convaincus que la plupart des composants seront disponibles à court terme, sans qu'il soit nécessaire de faire preuve d'une grande planification - mais là encore, cette situation ne peut pas durer éternellement. 

Des opportunités à saisir 

Un constat d’abord : ce qui ne s'est pas produit, c'est un ralentissement majeur du cycle d'innovation. Pendant cette période difficile pour l'industrie électronique, les principaux fabricants ont investi dans de nouveaux produits et de nouvelles capacités. Les appareils informatiques, qu'il s'agisse de processeurs intégrés à l'IoT ou de machines d'IA, continuent à devenir plus puissants, nécessitant davantage de stockage et de fonctionnalités.

Les fabricants reconnaissent que des questions telles que la sécurité, même dans les petits systèmes, deviennent plus importantes, nécessitant à leur tour des dispositifs plus sophistiqués. Les équipementiers ont été lents à réagir à ce cycle d'innovation actuel mais des caractéristiques telles que la sécurité et la connectivité transparente ne peuvent être ignorées par quiconque a un œil sur l'avenir à long terme. Cette évolution sera en partie dictée par le marché et en partie par de nouvelles réglementations, notamment en Europe, où la loi européenne sur la cyberrésilience et les mises à jour de la directive relative aux équipements hertziens (RED, Radio Equipment Directive) imposeront des changements aux fabricants. Ceux-ci, à leur tour, exigeront des dispositifs plus complexes dotés de capacités plus élevées. 

Des menaces malgré tout bien présentes

La menace des droits de douane imposés par M. Trump plane sur 2025 et pourrait avoir un impact majeur sur une industrie aussi mondialisée que l'électronique. Il semble inévitable qu'il y ait un schisme croissant entre la Chine et les États-Unis, l'Europe restant maladroitement à l'écart, aux côtés d'autres grandes économies telles que le Japon.

Le traitement réservé à Taïwan qui produit la plupart des semi-conducteurs de pointe dans le monde, sera particulièrement crucial, car des droits de douane importants auraient un impact direct sur le coût de nombreux produits électroniques. On ne sait pas encore comment tout cela va se dérouler, mais un certain niveau de découplage entre la Chine et l'Occident, en particulier les États-Unis, semble inévitable.

En outre, les entreprises européennes qui souhaitent vendre des produits aux États-Unis pourraient hésiter à utiliser des produits d'origine chinoise ou à fabriquer en Chine, par crainte de droits de douane ou d'interdictions. Le risque est grand que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine échappe ainsi à tout contrôle et entraîne le reste du monde dans sa chute. Une situation qui pourrait conduire à une nouvelle guerre froide avec un schisme total entre la Chine et l'Occident. Et si les tensions devaient s'intensifier et que les installations de fabrication de silicium subissaient des dommages physiques importants, c'est toute l'industrie qui serait alors anéantie. Jusqu'à présent, il y a eu plus de paroles que d'actes. L'industrie électronique doit donc espérer que la situation ne s'aggrave pas et qu'en fin de compte les différentes parties trouveront un moyen de parvenir à un compromis sans faire exploser le système commercial mondial.

Revenir à la “normale” une nécessité ?

On le voit, de nombreuses incertitudes pèsent sur l'industrie en ce début d'année. Néanmoins, il n'est pas possible de se contenter d'attendre, étant donné que le cycle de conception des produits électroniques, du concept au marché, s'étend généralement sur deux ans ou plus. Des décisions devront être prises. 

Face à cette incertitude, bien qu’il soit difficile de faire des prévisions, pour ma part, je pense que l'industrie reviendra progressivement et prudemment à une situation proche de la “normale” c'est-à-dire celle qui prévalait avant la pandémie. Pour être plus précis, cela signifierait une croissance modeste, avec des inventaires, des stocks et des délais de livraison revenant aux niveaux typiques observés avant les dernières années de turbulences. Mais ce n'est peut-être pas avant la fin de l'année que nous aurons le sentiment que ces conditions sont réunies.