Les spécialistes de modules et modems radio sur étagère doivent aujourd'hui connaître toutes les technologies radio et leurs caractéristiques (ISM, Wireless M-Bus, Bluetooth, Wi-Fi, ZigBee, 2G/3G/4G et bien sûr Sigfox et LoRa) mais aussi les réseaux effectivement déployés, leur empreinte géographique, les offres proposées par leurs opérateurs et les services disponibles. Une évolution métier que détaille pour L'Embarqué Frank Fischer, directeur marketing de la société iséroise Adeunis RF. ...
En tant que fournisseur de modules et de modems radio sur étagère ou personnalisés, comment la société Adeunis RF voit-elle aujourd’hui l’évolution de son métier face à l’arrivée de nouvelles technologies comme LoRa ou Sigfox ?
FRANK FISCHER Nous ne sommes plus à l’époque où un spécialiste radio devait "simplement" proposer des briques technologiques pour qu’un équipementier puisse remplacer une liaison câblée par une liaison sans fil. La création d’un produit doté d’un lien radio doit maintenant prendre en compte le réseau auquel il se connecte et le type d’informations qui vont être véhiculées sur ce même réseau. A charge donc pour un spécialiste comme Adeunis RF de connaître toutes les technologies radio et leurs caractéristiques (ISM, Wireless M-Bus, Bluetooth, Wi-Fi, ZigBee, 2G/3G/4G et bien sûr Sigfox et LoRa), mais aussi les réseaux effectivement déployés, leur empreinte géographique, les offres proposées par leurs opérateurs et les services disponibles.
Nous nous positionnons donc irrésistiblement comme un prestataire de conseil et nos interlocuteurs, qui s’intéressent désormais plus à des questions de coût, de qualité de service ou d’autonomie qu’à des strictes contingences technologiques, nous contactent souvent pour ce type d’expertise. Nous pouvons même aller plus loin, car nous sommes capables, pour certains clients, de mettre en œuvre une infrastructure fonctionnelle qui dépose des données là où l’utilisateur veut les récupérer. Pour ce faire, nous nous appuyons sur nos briques de base technologiques (modules et passerelles), nos compétences en termes de réseau, et notre savoir-faire dans la conception et la fabrication à façon de produits complets lorsque notre interlocuteur n’a pas les ressources pour ce genre de travail.
Pour résumer, Adeunis RF est insensiblement obligé de monter dans la chaîne de valeur sous l’influence de l’évolution du marché M2M et IoT. De toute façon, le marché des modules radio en tant que tels n’est plus très porteur pour une société comme la nôtre. Il y a encore quelques années, les compétences RF, qui reposaient souvent sur un savoir-faire acquis sur le terrain, étaient très valorisées. Aujourd’hui, les fabricants de semi-conducteurs ont fait de tels progrès sur les circuits RF que, même en les intégrant sans précautions particulières, ça marche à peu près ! Ceci dit, l’expertise RF a encore toute son importance. C’est elle qui nous a permis de mettre au point des démonstrateurs Sigfox et LoRa particulièrement optimisés au niveau de la radio. Disposant de capteurs intégrés - GPS, accéléromètre, capteur de température -, ils permettent d’émettre et de visualiser instantanément les trames radio sur le réseau. Les applications peuvent ainsi être validées sur site avant le déploiement même d’une infrastructure.
Quels sont les types de clients qui vous contactent ?
FRANK FISCHER Nous pouvons les classer en trois catégories. D’abord nous avons des clients historiques qui sont en fait de gros intégrateurs. Nous sommes contactés aussi par des sociétés, en général de petite taille, qui travaillent plutôt au niveau de l’applicatif pur et dur et qui viennent nous chercher pour développer tout l’aspect hardware et connectivité. Enfin une troisième catégorie est constituée d’entreprises qui ont besoin d’optimiser leurs procédés d’industrialisation mais qui n’ont pas de compétences RF, réseaux ou IoT. A nous de leur apporter la solution adéquate et cette démarche impose une implication marketing en amont bien plus importante qu’elle n’a pu l’être dans le passé.
Pendant longtemps en effet, ces industriels, s’ils recherchaient bien une technologie radio aptes à satisfaire leurs besoins, modifiaient ces mêmes besoins en fonction des technologies effectivement disponibles sur le marché. Aujourd’hui, avec l’éventail du choix technologique proposé, ce n’est plus le cas et il faut les guider pour qu’ils fassent le bon ! Les sociétés qui nous contactent nous approchent en fait de deux manières différentes. Soit elles n’ont pas d’idées préconçues et souhaitent être conseillées quant à la technologie radio qui peut convenir à leur application, soit elles se sont déjà orientées vers une technologie bien précise. Dans tous les cas, il faut qu’ils s’expliquent sur leurs besoins concrets et Il faut leur poser les bonnes questions en amont pour choisir la technologie la plus appropriée à leurs besoins. Ce n’est qu’à partir de cette étape que l’on peut réellement avancer.
Quelles sont donc les bonnes questions que doit se poser une société qui veut connecter des objets ou des équipements par un lien radio ?
FRANK FISCHER Les questions primordiales sont liées au type de données que l’on souhaite envoyer, à leur fréquence d’émission et aux volumes qu’il faut transmettre. Contrairement aux technologies cellulaires 2G/3G/4G ou au Wireless M-Bus, les technologies Sigfox ou LoRa sont très bridées au niveau des débits autorisés, notamment pour des raisons réglementaires. Sigfox et LoRa sont ainsi limités à 140 télégrammes par jour, ce qui équivaut à une trame de quelques octets toutes les dix minutes. Une caractéristique qui s’avère néanmoins adaptée à la remontée de niveaux de température ou, généralement, de valeurs mesurées par des capteurs. Le volume de données transportées a aussi une incidence importante sur l’autonomie de l’appareil. Si celui-ci doit émettre sur une longue durée, il est évident que son autonomie va rapidement chuter. Une caractéristique qu’il faut prendre en considération si l’on veut un produit qui soit autonome dans son fonctionnement et ce sur une longue période. En termes de technologies, les procédés de communication LoRa, Sigfox ou Wireless M-Bus affichent une plus faible consommation que le GSM et ses successeurs. Mais on peut imaginer que les évolutions du LTE dédiées au M2M et à l’IoT comme le LTE Category 0 ou le LTE-M vont s’aligner.
D’autres questions doivent aussi être posées. Les données sont-elles à envoyer vers un réseau géré par un opérateur tiers ou voulez-vous maîtriser votre propre réseau ? Souhaitez-vous une couverture locale ou nationale ? Tout dépend de la volonté de bénéficier d’une certaine indépendance. Pour la meilleure couverture et une couverture nationale, le GSM, qui est présent partout, peut être la solution la mieux appropriée. Mais l’opérateur Sigfox qui maîtrise sa propre infrastructure réseau communique aujourd’hui sur le fait qu’il dispose d’une bonne couverture à l’échelle hexagonale. On peut aussi estimer que la technologie LoRa, malgré une forte inertie liée au fait qu’elle n’est pas gérée par une entreprise unique, disposera d’une bonne couverture à partir de l’année prochaine au vu de l’engagement pris par de gros opérateurs comme Bouygues Télécom et Orange en France, KPN aux Pays-Bas, Proximus en Belgique ou encore Swisscom.
La topologie du réseau radio a aussi son importance. En général, il faut récupérer des données d’une multitude de points d’émission. Mais ces points sont-ils isolés ou s’agit-il de cellules de plusieurs points qu’il faut concentrer ? Lorsqu’on déploie des capteurs environnementaux le long d’une autoroute par exemple, il est difficile, voire impossible, de les concentrer ; ils doivent se connecter par eux-mêmes directement à l’infrastructure réseau. En revanche, dans un entrepôt, il est possible de localiser en temps réel tous les biens stockés et d’exploiter les données sur un nœud centralisé en local, puis rapatrier ces données vers un centre de contrôle délocalisé. Dans ce type de configuration, on a donc une cellule locale outdoor ou indoor utilisant une technologie radio quelconque (dans la bande des 868 MHz par exemple) que l’on relie à l’infrastructure réseau longue portée (GSM par exemple) au travers d’une passerelle.
Est-ce que les questions d’interopérabilité taraudent toujours autant les industriels ?
FRANK FISCHER L’interopérabilité et la compatibilité avec un standard existant peuvent apparaître importantes pour des industriels ou des intégrateurs qui ne souhaitent pas être pieds et poings liés avec un fournisseur particulier. Cela a été le cas dans le domaine de la télérelève de compteurs où le Wireless M-Bus a pu largement s’imposer. Cette technologie est d’ailleurs de plus en plus utilisée dans d’autres secteurs où il faut récupérer des données en local. Avec sa portée jusqu’à un kilomètre, sa basse consommation, son débit élevé, sa forte autonomie (dix ans par exemple avec une pile 3 V et une puissance d’émission de 25 mW), ses avantages sont multiples. Le Wireless M-Bus permet ainsi de déployer de nouveaux services sans avoir à déployer de nouvelles infrastructures ; c’est le cas par exemple du contrôle en temps réel de réseaux d’eau potable à des fins d’optimisation des coûts et de maintenance prédictive. Pour répondre à la demande, Adeunis RF a ainsi développé un émetteur radio prêt à l’emploi (voir photo ci-dessus) qui permet de transformer tout type de capteur 0-10V, 4-20 mA ou TOR en un capteur sans fil apte à communiquer sur une infrastructure Wireless M-Bus déjà déployée. L’utilisation d’un standard permet ici de réaliser des économies substantielles.
Au-delà, l’interopérabilité n’apparaît plus comme un critère aussi critique que par le passé. Les utilisateurs souhaitent surtout que leurs données soient envoyées par le meilleur moyen possible jusqu’au système d’information capable de les traiter, quitte à passer par des passerelles matérielles ou logicielles. C’est la raison pour laquelle on voit apparaître, notamment dans le domaine de la domotique où ont toujours régné des approches propriétaires, des passerelles aptes à comprendre plusieurs protocoles radio et associées, au niveau des serveurs en nuage, à des connecteurs logiciels capables d’interpréter n’importe quelle donnée, quelle que soit son origine, puis de les fournir à un système d’information. La criticité technique, de ce fait, se déplace aujourd’hui vers le nuage.
Propos recueillis par Pierrick Arlot