[TRIBUNE par Bernardo Cabrera, OBJENIOUS] Les objets connectés ont pris une place prépondérante dans notre quotidien. L’Ademe et l’Arcep estiment à 244 millions le nombre d'objets connectés actuellement en circulation. Pour accueillir et superviser ce parc qui ne cesse de s’étendre, le marché télécoms se renouvelle en France comme à l’international. De nouveaux réseaux plus puissants sont déployés et de nouveaux enjeux, notamment en matière de sécurité et de gestion des données, se profilent. Bernardo Cabrera, directeur de la Business Unit Objenious de l’opérateur Bouygues Telecom dévoilent les grandes tendances à prévoir pour 2024.
Extinction 2G/3G : l’essor des nouvelles technologies cellulaires LTE-M et NB-IoT en France
Face à la décision des opérateurs français de cesser l'exploitation des technologies 2G et 3G, le marché est en posture de se diriger vers une nouvelle ère technologique. Des premières vagues de retrofit massifs - qui permettent à d’anciens dispositifs 2G/3G de passer sur les nouveaux réseaux - ont déjà été lancées en 2023. Au-delà de faire évoluer le marché vers plus d’efficience et de nouveaux usages, la fin des réseaux 2G et 3G permettra de libérer de précieuses ressources au profit des réseaux plus récents (4G, LTE-M, NB-IoT et 5G) et de donner plus de latitude au développement de certaines technologies. Le principal enjeu, côté entreprises, sera alors d’anticiper le renouvellement des parcs des dispositifs IoT.
Aussi cruciaux que soient les réseaux 4G et 5G pour les professionnels des télécoms, certains parmi eux optent également pour des technologies à faible consommation comme le LTE-M et le NB-IoT, parfaitement intégrés à l'infrastructure 4G et prêtes pour la 5G. Le LTE-M et le NB-IoT auront probablement une place de choix en 2024, et plus particulièrement dans le milieu industriel. Si le réseau LTE-M a déjà été adopté par de nombreux acteurs pour divers usages (suivi d’actifs, par exemple), 2024 devrait être l’année du NB-IoT. Certains experts prévoient en effet une augmentation significative du nombre de nouveaux projets NB-IoT au cours des prochains mois et le réseau pourrait devenir essentiel dans le cadre de la supervision d’activité telle que le smart metering.
La 5G va poursuivre son expansion sur le territoire
En 2023, toutes les lumières étaient braquées sur la 5G. Malgré son accessibilité auprès des opérateurs dits « grand public », le réseau 5G n’en n’est encore qu’à sa première phase de développement en France. Pour le moment, la 5G se déploie en utilisant les plus hautes fréquences du spectre sur une certaine portée, et continue d’utiliser les technologies 4G pour certaines fonctionnalités : par exemple, la voix continue de passer par la 4G, tandis que les données transitent par la 4G et la 5G.
Nous devrions prochainement assister à une nouvelle avancée. La phase 2 arrivera avec la 5G dite standalone, après le déploiement du réseau d’accès radio et du cœur de réseau. Les opérateurs et l’ensemble des serveurs pourront traiter les données provenant directement des antennes. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le cloud joue ici un rôle crucial car le cœur 5G fonctionne avec des systèmes à base de micro-services hébergés dans des conteneurs sur des infrastructures virtualisées, très communs dans le monde du cloud.
Et après ? Des améliorations auront certainement lieu sur le long terme, permettant notamment de pousser toujours plus loin l’intelligence 5G et par la même occasion la virtualisation. De leur côté, les infrastructures et les univers technologiques du web et du mobile devraient être de plus en plus convergents avec le passage à la 5G standalone. Enfin, l’expansion des réseaux privés 5G laisse présager que certaines zones dédiées seront déployées à court terme, et que plusieurs entreprises situées dans une zone ciblée pourraient avoir accès à des réseaux 5G privés spécifiques.
2024 : l’année du boom du réseau satellitaire ?
Aujourd’hui, plus d’un tiers de la surface du globe est couverte par les réseaux terrestres (5/4/3/2G, NB-IoT, LTE-M, etc.). Si ces réseaux permettent de capter en sous-sol ou dans des zones difficiles d’accès, le réseau satellitaire couvre quant à lui les zones reculées (en montagne, en mer, etc.). Ces deux typologies de réseaux deviennent alors complémentaires dans certains cas d’usage, mais il reste encore aujourd’hui compliqué d’envoyer des informations vers les objets connectés via l’IoT satellitaire.
Même si certains pays comme la Chine ont déjà déployé leur propre réseau de satellites leur permettant de connecter des régions éloignées, et que des initiatives privées - comme Starlink, Blue Origin, Virgin Orbit, ont vu le jour - le réseau satellitaire n’en est encore qu’à ses prémices. En effet, le déploiement de ce type d’appareils est très coûteux - entre 350 et 450 millions d’euros (satellite, lancement, assurance et maintien en conditions opérationnelles comprises). En France, même si des projets sont en cours au sein des différents services des opérateurs télécoms, les offres sont encore loin d’être abouties et nécessitent encore d’être testées et validées.
Au cours des dernières années, l’IoT cellulaire a suscité l’intérêt des experts et a favorisé l’essor de nouvelles entreprises dans le secteur, résultant à une saturation du marché. Bien que 2024 semble présager des partenariats entre entreprises privées et opérateurs télécoms, les conditions actuelles et les choix stratégiques s'avèrent plus complexes, compte tenu des défis que les acteurs rencontrent pour se distinguer et du manque de visibilité dans le secteur des télécommunications. Malgré cela, l’IoT représentera de nouvelles opportunités pour les entreprises, tous secteurs confondus : en bénéficiant d’offres IoT alliant réseaux terrestres et réseaux satellitaires, elles pourront trouver des solutions pour répondre à l’ensemble de leurs besoins tout en bénéficiant de performances optimales, quelle que soit leur localisation.
La cybersécurité des réseaux IoT va encore se renforcer
L’IoT regroupe tout un écosystème qui englobe aussi bien les capteurs, les réseaux, la plateforme de gestion IoT, le stockage des données ou encore les applications métier. Toutes ces composantes sont à surveiller et surtout à protéger. Mais comment le réseau peut-il participer à protéger l’IoT ? De manière générale, passer par un réseau opérateur (réseaux dits "coffres-forts") au lieu d’un IP public reste la meilleure solution pour limiter les risques d’attaque. D’autre part, chaque nouveau réseau est généralement mis sur le marché avec une couche de sécurité supplémentaire. Dans le cas de la 5G par exemple, une nouvelle couche est ajoutée à chaque mise à jour et participe à la complexification du chiffrage des données en transit et à rendre plus difficile l’accès aux données par les hackers.
Quand on parle de sécurité, la détection des potentielles micro-irrégularités sera un des principaux enjeux en 2024. L’IA et le Machine Learning participeront activement à ce processus grâce à la micro-analyse des flux de données émises par les capteurs et permettront, finalement, de détecter une irrégularité ou un comportement anormal.
Enfin, les nouvelles réglementations changeront également la donne au cours des prochains mois. L’impact du Security by Design et du Cyber Resilience Act auront un rôle à jouer dans la prévention du risque et de la sécurité : intégrés dès la conception d’un objet connecté et tout au long de son cycle de vie, ces approches pourront participer à améliorer la robustesse, la résilience, et la sécurité des dispositifs IoT.
Les réseaux IoT au service de la RSE des entreprises
2023 aura été le témoin d’un nombre toujours plus important de projets IoT RSE (Responsabilité sociale des entreprises) en France. L’efficacité énergétique est en effet au cœur des enjeux des entreprises, poussée par l’effervescence réglementaire et politique. La France a d'ailleurs été le premier pays à rendre la réglementation CSRD [1] obligatoire dès le 1er janvier 2024. Nouvel outil européen destiné à mieux encadrer la publication des informations extra-financières par les entreprises, le CSRD va imposer une plus grande transparence sur les activités des entreprises et leurs conséquences sur l’environnement. Si les rapports RSE étaient déjà rendus obligatoires pour les grandes entreprises, cette obligation va concerner également les TPE-PME, qui devront remplir une version simplifiée et allégée d’un rapport de durabilité. L’IoT va permettre d’aider à la conception de ces rapports, par la surveillance, la remontée et l’analyse des données.
Dans l’objectif de répondre à leurs enjeux RSE, grandes et petites entreprises s’équiperont encore davantage en IoT pour superviser au mieux la gestion de leurs dépenses énergétiques. Beaucoup plus de projets IoT vont être orientés autour de la décarbonation, et la RSE va devenir un critère de choix lors du lancement de nouveaux projets IoT. Côté connectivité, les réseaux basse consommation auront certainement un bel avenir devant eux. Enfin, le recyclage des objets IoT en fin de vie devrait aussi figurer à l’ordre du jour des gouvernements et des entreprises en 2024. Beaucoup mettront en œuvre des projets visant à les rendre plus performants, et surtout moins énergivores.
En conclusion, pour les acteurs des télécoms, 2024 sera sous le signe de l’évolution. Alors que les nouveaux réseaux comme le LTE-M, le NB-IoT ou la 5G vont participer à redéfinir les usages IoT à court terme, le réseau satellitaire devrait, quant à lui, poursuivre son développement et avoir un impact significatif sur le long terme. Même si les innovations se poursuivent sur le secteur, la cybersécurité IoT restera un enjeu majeur pour les prochaines années afin d’assurer la protection des dispositifs, des données et des personnes.
[1] Corporate Sustainability Reporting Directive