"Dans un déploiement massif de l'Internet des objets, la question du device management est centrale"

Hatem Oueslati

La société française IoTerop, qui est spécialisée dans les logiciels de gestion à distance d’objets connectés (device management) compatibles avec le standard LwM2M de l’organisme OMA SpecWorks, est au cœur de l’écosystème IoT. Hatem Oueslati, cofondateur et dirigeant de la start-up, fait le point pour L’Embarqué sur les évolutions majeures que connaît aujourd’hui le marché de l’Internet des objets (IoT).

Quelle est pour vous la tendance actuelle la plus marquante du marché de l’Internet des objets ?

HATEM OUESLATI L’édition 2022 du Mobile World Congress qui s’est tenue en mars et qui a été marquée par une forte fréquentation après deux années difficiles, a permis de constater une très grosse dynamique autour de l’Internet des objets. L’IoT est partout et se retrouve désormais immergé dans les métiers, ce qui est le symbole d’une vraie maturité. Ce mouvement s’accompagne d’une montée en puissance de l’IoT cellulaire, de plus en plus mature et compétitif, avec sur le marché l’existence d’un catalogue de plus de 150 modules radio compatibles avec des standards cellulaires comme le LTE-M, le NB-IoT, etc. Et ce avec des offres de plus en plus intégrées, synonyme d’efficacité énergétique améliorée.

On constate en fait un écart qui se réduit au niveau des prix et de la consommation par rapport aux modules LPWAN non cellulaires alignés sur des technologies comme LoRa ou Sigfox. Le cellulaire a aussi pour avantages son aspect non propriétaire et un gage de pérennité avec des opérateurs mobiles fortement implantés depuis de nombreuses années. Les réseaux cellulaires, enfin, assurent une connexion directe aux infrastructures sans l’obligation d’installer des passerelles comme c’est le cas avec les réseaux LPWAN Sigfox ou LoRa.

Pour vous, la fenêtre des technologies LPWAN comme Sigfox ou LoRa est-elle donc en train de se fermer ?

HATEM OUESLATI Cela se concrétise aujourd’hui dans les faits, pourrait-on dire, avec Sigfox qui est actuellement en redressement judiciaire (NDLR : le nom d’un potentiel acquéreur devrait être connu dans les prochains jours), et avec Bouygues Telecom qui a pris la décision de fermer son réseau LoRaWAN d’ici à décembre 2024. Il se pourrait qu’à terme ces technologies soient plutôt réservées à des réseaux privés.

Côté cellulaire, il faut aussi noter que les coûts opérationnels se réduisent avec une grosse concurrence au niveau des opérateurs mobiles virtuels (MVNO). Quant à la consommation des modules radio cellulaires, elle est aujourd’hui équivalente à celle des modules LoRa avec des garanties d’autonomie de l’ordre de 20 ans, notamment dans le cas du NB-IoT.

Un exemple intéressant est celui du fabricant de compteurs d’eau communicants australien EDMI qui compte déployer d’ici début 2023 en Australie et en Nouvelle-Zélande 150 000 compteurs compatibles NB-IoT et LwM2M, grâce notamment à notre pile logicielle embarquée Iowa. Avec seulement deux piles alcalines type D, l’autonomie annoncée de ces produits est de plus de 20 ans, une exigence au vu de l’étendue et des contraintes environnementales des territoires ciblés. Et 150 000 unités n’est qu’un début, sachant que depuis 1978 EDMI a déployé plus de 5 millions de compteurs de gaz et d’électricité sur la seule Australie.

Comment se positionne IoTerop dans ce paysage en évolution ?

HATEM OUESLATI Dans les déploiements IoT, la notion de device management est au cœur de l’équation, au-delà de la connectivité, car elle garantit aussi la gestion optimisée et la sécurité de l’ensemble du cycle de vie des objets connectés, mises à jour over-the-air et sécurisation des échanges compris. A titre d’exemple, Thales, qui utilise notre solution LwM2M, indique une réduction de trafic de 70% pour la gestion du cycle de vie de ses modules radio cellulaires.

En réalité, plus les déploiements sont massifs, plus il est nécessaire de se poser des questions au sujet de la gestion des objets connectés. Il est facile de voir ici la pertinence de la technologie LwM2M sur le marché, car pas mal d’acteurs s’y engouffrent aujourd’hui. Ce qui nous différencie de la concurrence, c’est que la société IoTerop est membre du comité de direction du comité OMA SpecWorks qui fait évoluer ce standard. Nous avons donc la capacité de fournir une pile LwM2M à l’état de l’art en y ajoutant en plus un savoir-faire développé depuis de nombreuses années.

Ce qui n’est pas le cas d’un certain nombre de nos concurrents qui utilisent des briques open source et qui ne peuvent donc pas forcément assurer les performances d’éco-efficacité et de latence attendues. Garantir 20 ans d’autonomie pour un compteur d’eau nécessite de fait des optimisations et des implémentations LwM2M de qualité, tant du côté client que du côté serveur. Pour résumer, utiliser des standards ouverts comme NB-IoT pour la connectivité et LwM2M pour le device management amène une simplification de la chaîne de valeur et ce jusqu’à la sémantique. C’est aussi un gage de pérennité, d’interopérabilité et de maîtrise des coûts.

Sur quels types de réseaux IoT est aujourd’hui déployée la technologie de IoTerop ?

HATEM OUESLATI La technologie développée par IoTerop est en fait agnostique et peut être déployée sur des réseaux 3G/4G ou sur des réseaux cellulaires longue portée et basse consommation NB-IoT ou LTE-M, mais aussi sur des infrastructures IP classiques. Mais elle est naturellement adaptée aux environnements contraints et aux déploiements IoT massifs comme les compteurs d’énergie communicants et l’éclairage urbain connecté, là où la technologie NB-IoT garantit aussi une forte pénétration indoor, dans des endroits par exemple où les signaux 3G/4G par exemple ne passent pas.

Nos marchés sont en fait très internationaux (nous réalisons 80% de notre chiffre d’affaires hors de France) et nous nous positionnons là où les réseaux cellulaires sont très présents avec des offres matures et où tout est prêt pour une massification de l’IoT. Les derniers contrats que nous avons officialisés ces dernières semaines en témoignent.

Notre kit de développement logiciel Iowa, côté client, ainsi que notre plate-forme de device management Alaska, côté serveur, ont ainsi été retenus par le néozélandais Hiwa Technology, qui fournit une solution innovante de trackers industriels pour les chantiers de construction. Le hongrois Intelliport, de son côté, va intégrer notre logiciel embarqué Iowa dans ses routeurs industriels Wi-Fi/LTE, puis ultérieurement dans tous ses produits, y compris des détecteurs de stationnement intelligent et des passerelles pour compteurs d’électricité, d’eau et de gaz.

Le néerlandais InnoTractor, quant à lui, va renforcer sa plate-forme de service IoT avec des fonctions évoluées de gestion du cycle de vie grâce à notre plate-forme cloud Alaska. Enfin le britannique Urban Control, qui propose des solutions pour les villes intelligentes, a choisi notre plate-forme Alaska pour gérer ses boîtiers connectés pour éclairage urbain compatibles NB-IoT (NDLR : lire notre article).

Comment comptez-vous faire évoluer votre offre ?

HATEM OUESLATI Des évolutions sont attendues au niveau du standard LwM2M (la version 1.2 date de 2020), notamment sur les aspects liés à la sécurité et aux mises à jour de firmware à distance (FOTA). Nous aurons des implémentations en avance de phase car IoTerop participe activement aux travaux en cours, tant à l’OMA SpecWorks qu'à l’IETF (Internet Engineering Task Force).

Nous travaillons aussi à l’optimisation de nos produits pour l’IoT satellitaire et nous allons utiliser l’intelligence artificielle pour l’aspect sécuritaire de notre solution, à la fois au niveau embarqué et au niveau du cloud. L’objectif est d’assurer une sécurité prédictive, avec détection en avance de phase d’intrusions ou d’attaques malveillantes, comme les attaques par déni de service.

Propos recueillis par Pierrick Arlot