[TRIBUNE de Tobias Wölk, REICHELT ELEKTRONIK] Au milieu des années 1960, Gordon E. Moore, un ingénieur de la compagnie Fairchild Semiconductor, édicta un principe empirique : la complexité des semi-conducteurs double chaque année. En 1975, Moore réévalua sa prédiction pour affirmer que le nombre de transistors présents sur une puce de silicium double tous les deux ans. Jusqu’à récemment, Moore avait raison. Cependant, les industriels nous entraînent désormais de plus en plus rapidement dans une course effrénée dans l’innovation, de l’infiniment petit aux matériaux prometteurs. Explications de Tobias Wölk, directeur produits chez le distributeur de composants et sous-systèmes électroniques en ligne Reichelt Elektronik.
Gérer la production de chaleur des semi-conducteurs est un défi majeur pour les industriels. Plus les composants sont petits et gèrent un nombre important d’opérations, plus ils produisent de chaleur. Si cette chaleur n’est pas évacuée, elle peut réduire les performances du système, voire bloquer son fonctionnement. Récemment, les puces HBM de Samsung ont échoué aux tests de Nvidia pour ses cartes dédiées à l’intelligence artificielle (IA), en partie à cause des problèmes de chaleur et de consommation d’énergie.
Des nouveaux matériaux pour assurer le futur des semi-conducteurs ?
L’industrie travaille à résoudre ce problème et de nouveaux matériaux sont développés pour assurer le futur de cette technologie.
Le silicium domine jusqu’à présent l’univers des semi-conducteurs. Bien qu’il ne soit pas le meilleur conducteur existant, il a l’avantage d’être un composant relativement stable, assurant ainsi une conductivité constante. Cependant, le silicium présente des limites de performances. En effet, ses performances sont réduites à haute température et des risques de fuite de courant lors de la miniaturisation des composants sont également constatés.
À ce titre, les diamants de synthèse constituent une alternative prometteuse. Ainsi, Diam Fab, une deeptech spécialisée dans les semi-conducteurs conçus à partir de diamants de synthèse, vient de réaliser une première levée de fonds de 8,7 millions d’euros. Cette levée permettra de lancer la pré-industrialisation de ce que la start-up considère comme le « semi-conducteur ultime ».
Cette nouvelle industrie est en très forte croissance. Elle pèsera selon les spécialistes plusieurs dizaines de milliards de dollars à l’horizon 2030.
Le graphène est également une piste développée par le laboratoire de recherche américain Georgia Tech d’Atlanta pour accélérer les capacités de traitement et être utile pour les futurs ordinateurs quantiques. Les chercheurs ont travaillé sur l’utilisation du graphène épitaxié, une structure cristalline de carbone chimiquement liée au carbure de silicium (SiC). Ce nouveau matériau semi-conducteur offre une mobilité électronique supérieure à celle du silicium traditionnel. Cela permet aux électrons de se déplacer avec moins de résistance, offrant ainsi la possibilité de créer des transistors capables de fonctionner à des fréquences de l’ordre du térahertz à des vitesses dix fois plus importantes que celles des transistors à base de silicium utilisés dans les puces électroniques actuelles.
Enfin, aux États-Unis, des chercheurs ont établi un nouveau record de vitesse en utilisant un semi-conducteur quantique nommé Re6Se8Cl2. Plus efficace que le silicium utilisé actuellement, ce semi-conducteur, composé de rhénium, de sélénium et de chlore, est considéré comme le plus rapide et le plus efficace jamais créé. Selon les chercheurs, il serait théoriquement possible de créer des produits six fois plus rapides que ceux existants.
Cependant, le matériau n’est pas encore prêt à être utilisé dans les processeurs, puces et autres systèmes électroniques. Le rhénium, l’un de ses composants, est l’un des métaux de transition les plus rares sur Terre. Par conséquent, malgré une performance accrue, tout appareil utilisant ce matériau ne serait pas économiquement viable.
Des puces toujours plus petites
Alors que l’atteinte des 5 nm semblait à peine possible il y a seulement quelques années, le 2 nm se prépare déjà pour son industrialisation. En 2023, TSMC a détaillé sa gravure en 2 nm prévue pour 2025, ce qui marque un changement d’ère. L’enjeu derrière cette évolution concerne d’abord l’économie d’énergie. Les bénéfices des évolutions technologiques récentes liées à la réduction de la taille des puces ne permettent pas tant d’augmenter la densité des transistors que de réduire la consommation énergétique.
Les solutions des industriels pour contrer la consommation d’énergie sont en grande partie liées à leur architecture interne. Les transistors « classiques » de type FinFET reposent sur une structure de transistors à effet de champ en forme d'aileron qui ne suffit plus aux exigences actuelles. Un autre type de transistors est apparu, appelé nanosheet par TSMC, nanoribbon par Intel et GAAFET par Samsung. Cette architecture en nanocouches/nanofils isole mieux les circuits les uns des autres et permet de limiter la consommation énergétique.
Récemment, l’européen ASML, en collaboration avec l’institut de recherche belge IMEC, a annoncé la création d’une ligne pilote de lithographie de puces dites subnanométriques. Cette innovation promet de faire basculer les semi-conducteurs dans une nouvelle dimension. Pour ces industriels, les futures puces approcheront la taille de l’atome.
Les progrès technologiques rythment la compétition mondiale. Chaque année, de nouvelles innovations repoussent les limites des technologies existantes. Cette course effrénée répond aujourd'hui aux besoins croissants de l’IA et les technologies actuelles ne suffisent pas à y répondre. Une dynamique bénéfique qui devrait orienter les innovations futures pour les années à venir. Si les développements technologiques de nouveaux matériaux sont prometteurs à moyen et long terme, il est peu probable que leur inscription dans des processus industriels soit réalisée à court terme. Ces innovations sont pour la plupart encore au stade du laboratoire. Toutefois, elles dressent une feuille de route de ce que pourrait être le futur des semi-conducteurs.