[TRIBUNE par Stéphane Guignard, ARAS] Le jumeau numérique ? Pour beaucoup, c'est une maquette numérique du produit, que l'on peut manipuler virtuellement en 3D, par exemple pour former des opérateurs de maintenance ou tout simplement pour une présentation commerciale. Mais cette définition restrictive est très loin de rendre compte des possibilités offertes par un “véritable” jumeau numérique, qui est un continuum d'informations enregistrées sur un produit durant toute sa vie, y compris pendant son utilisation sur le terrain grâce notamment au développement des objets connectés. Analyse par Stéphane Guignard, directeur France et Europe du Sud d’Aras, société spécialisée dans la gestion du cycle de vie des produits et éditeur d’une solution de PLM (Product Lifecycle Management) adaptée aux produits et processus complexes....
Au-delà de la simple représentation géométrique 3D, le jumeau numérique doit intégrer les données de toutes les spécialités (mécanique, électronique, câblage, logiciels...) qui ont participé à la conception et à la fabrication du produit physique. Mais il ne peut pas se résumer à une photo instantanée : le produit peut avoir évolué pendant sa conception et sa fabrication, et subi des modifications lors de son exploitation (réglages, mises à jour de logiciels, changements d'une pièce...) après son lancement commercial.
Chaque produit a son histoire, et c'est le film de cette histoire dont il faut garder la mémoire. Par exemple, si des cas d'usure prématurée sont signalés, un authentique jumeau numérique permettra de remonter à toutes les prises de décision concernant l'exemplaire incriminé : certaines pièces ont-elles été fabriquées en limite de tolérance dimensionnelle ? Quelle machine a effectivement été utilisée pour sa fabrication ? Il permettra également de remonter aux résultats des simulations qui auront pu être réalisées dans les phases de conception et les confronter à la réalité du terrain.
Prendre en compte tous les événements du cycle de vie du produit
Enfin, le jumeau numérique ne peut se limiter à présenter une vue unique sur le produit : il faut autant de représentations du produit qu'il y a de phases dans son cycle de vie (du bureau d'études au service après-vente), de finalités d’usage et d'acteurs susceptibles d'y avoir recours pour régler un problème ou proposer une amélioration. Les responsables de la maintenance n'ont pas besoin des mêmes données que des spécialistes de la modélisation thermique. Aujourd'hui, pour des raisons de complexité et de coût, les industriels se contentent le plus souvent d'établir un jumeau numérique qui répond à un usage particulier (la formation, la maintenance, la modélisation...).
Ces représentations spécifiques sont certes utiles, mais le risque de déconvenues est grand si l'on n'est pas capable de garantir la cohérence entre les différentes “vues”, de prendre en compte les interactions entre les disciplines (entre la mécanique et la thermique, par exemple), et d'assurer la traçabilité de tous les événements du cycle de vie du produit. Les outils de PLM (Product Lifecycle Management, système de gestion du cycle de vie des produits), qui intègrent tous les métiers de l'entreprise, et pas seulement les métiers techniques, sont les mieux placés pour répondre à ce besoin de continuité numérique.
Mais seule la dernière génération de logiciels de PLM, fondée sur une plate-forme intégrée et non sur un “puzzle” d'applications plus ou moins interconnectées, est capable de faire dialoguer les acteurs de manière cohérente tout au long du cycle de vie. Une condition indispensable pour créer un véritable jumeau numérique, dont la nécessité se fera d'autant plus sentir avec le développement des applications d'intelligence artificielle. En effet, mettre en place des outils d'apprentissage automatique (machine learning) sur des données partielles ou dépourvues de contexte, c'est prendre le risque de mauvaises interprétations... et d'actions préjudiciables.