[TRIBUNE by Pierre Ficheux, SMILE] Selon Pierre Ficheux, directeur technique OWI au sein du groupe Smile, le démarrage du marché de l'IoT dans ses applications grand public s'accompagne aujourd'hui du développement d'une multitude de solutions matérielles et logicielles captives, très éloignées des standards et donc des modèles libres/open source. Et ce alors que l’enfermement de ce marché dans une telle logique propriétaire serait un frein qui pourrait remettre en cause les prédictions mirobolantes des analystes. ...
Tout comme l'Internet a bouleversé notre quotidien au siècle dernier, la révolution de l'intégration d'objets physiques dans le réseau des réseaux est en marche. On peut raisonnablement se demander s'il s'agit réellement d'une révolution ou tout simplement de l'exposition d'un ensemble de technologies autrefois ignorées du grand public, voire de certains industriels. Une chose est certaine, de très nombreux analystes prévoient plusieurs dizaines de milliards d'objets connectés à moyen terme et même s'il est prudent de se méfier des grands nombres, cela ne peut que susciter l'excitation, voire l'enthousiasme !
Le démarrage du marché de l'IoT dans ses applications grand public s'accompagne aujourd'hui du développement d'une multitude de solutions matérielles et logicielles captives, très éloignées des standards et donc des modèles libres/open source. Et ce alors que l’enfermement de ce marché dans une telle logique propriétaire serait un frein qui pourrait remettre en cause les prédictions mirobolantes des analystes. Ainsi, les objets connectés de type capteurs, qui devraient constituer la majorité du nombre prévu par les analystes, utilisent des protocoles de communication dédiés pour des raisons d'optimisation de la bande passante et de la consommation énergétique. Nous voyons donc poindre dans ce domaine quelques « pseudo-standards » qui sont techniquement satisfaisants mais qui restent des produits ou protocoles issus de solutions propriétaires.
La situation est différente sur les objets plus complexes, notamment ceux capables d'utiliser des OS comme Linux, car de nombreux industriels de premier plan migrent depuis quelques années vers des technologies plus ouvertes avec l'adoption de standards de type Ethernet comme AFDX (Avionic Full DupleX), EtherNet/IP ou openPOWERLINK, les sources de ce dernier étant par exemple disponibles sous licence libre. Du coté du matériel, la conception est largement facilitée par l'existence désormais de briques matérielles libres dites « open hardware », à l'instar des modules équipés d'un processeur comme le SensorTag de chez Texas Instruments ou de la désormais célèbre carte BeagleBone Black qui permettent de réaliser une maquette à très faible coût, voire d'adapter le matériel existant pour un produit final. Le traitement et la valorisation des données, autres segments fondamentaux de l'IoT, sont moins touchés par l'adoption de solutions propriétaires car intégrés au système d'information dans lequel le libre - et les standards - sont bien implantés depuis de nombreuses années avec une évolution très favorable (cloud, Big Data, démarche DevOps).
Les grands groupes industriels pour lesquels l'arrivée de l'IoT est stratégique sont le plus souvent à même de gérer les difficultés inhérentes à cette évolution et surtout ils sot capables d'évincer les solutions captives au profit des standards. Pour eux – et pour reprendre le terme d'un expert d'un de ces groupes – un standard dont il n'existe pas de version open source ne peut être un véritable standard. Dans ce monde dédié à des solutions embarquées critiques, les outils fondamentaux sont souvent issus du monde du libre comme par exemple l'envrionnement TOCASED/PolarSys initié par Airbus. Si l'Internet (et l'économie associée) a pu se développer au rythme que nous connaissons, c'est avant tout grâce aux standards RFC (Request for Comments) qui représentent peu ou prou les tables de la loi du réseau des réseaux, gravées dans le marbre. Il n'y a aucune raison pour que cette nouvelle version de l'Internet, extension physique du « Web 3.0 », ne suive pas les mêmes règles que ses aînés.
Les principales cibles des solutions propriétaires sont les sociétés naissantes ou abordant ce marché à venir comme une diversification. Dans ce cas, il n'est pas toujours facile de résister aux sirènes de la solution unique (du matériel aux protocoles de transfert des données, en passant par l'outil de développement et de déploiement). Les technologies utilisées nécessitent fatalement des compétences et donc un investissement intellectuel et financier. A l'instar des créateurs de sites Web, les concepteurs d'objets connectés ne sont pas non plus des techniciens émérites et le spectre des technologies impliquées dans l'IoT est bien plus large, du fait de la présence du matériel qui, de plus, se doit d'être d'une grande fiabilité puisque souvent destiné à un fonctionnement autonome. Les comités d'experts comme ceux du GTLL (Groupe thématique Logiciel libre du pôle de compétitivité Systematic Paris-Region) ainsi que l'écosystème des entreprises du libre ont pour mission première de faciliter l'accès à ces technologies du libre logiciel, mais également désormais matériel, à toutes les entreprises afin de leur éviter de commettre des erreurs stratégiques qui pourraient leur être fatales tant au niveau technologique que financier.
Pierre FICHEUX, directeur technique OWI (Groupe Smile), auteur du livret bleu « Open Source pour l'IoT » édité par le GTLL