Le programme de recherche Spintronique (PEPR SPIN) officiellement lancé à Grenoble le 29 janvier dernier, et doté d’un financement de quelque 38 millions d’euros sur huit ans, vise à impulser des innovations dans le domaine de la spintronique pour in fine favoriser l’émergence de systèmes numériques plus frugaux, agiles et durables.
Pour rappel, la spintronique - que l’on peut voir comme un mariage entre électronique et magnétisme - utilise le spin (ou moment magnétique) des électrons pour les manipuler dans les circuits. Cette technologie est notamment mise en œuvre dans les mémoires MRam que l'on retrouve dans des circuits pour l’embarqué produits à grande échelle comme des microcontrôleurs basse consommation (ceux d’Ambiq ou du français Greenwaves par exemple).
Cette technologie présente l'avantage d'être frugale en énergie en proposant des fonctionnalités différentes par rapport à l'électronique traditionnelle à travers l’exploitation du spin de l'électron (*) en plus de sa charge. Bien qu'elle soit encore considérée comme émergente, la spintronique révolutionne d’ores et déjà, selon le CEA, le stockage des données et les technologies de capteurs.
Cette approche propose aujourd'hui plusieurs voies pour le développement de nouveaux composants capables d’équiper des dispositifs très peu énergivores, reconfigurables et intégrables. Par exemple, les systèmes hybrides spintronique-Cmos et les capteurs spintroniques s’intègrent désormais dans des domaines tels que l'Internet des objets, l'intelligence artificielle, le stockage dans le cloud ou encore la communication dans les réseaux du futur.
L’idée sous-jacente du programme de recherche d’envergure Spintronique est de contrer le coût environnemental lié à la croissance du monde numérique qu’il devient impossible d’ignorer. Le CEA estime selon diverses prévisions qu'à l'horizon 2030, ce monde numérique sera responsable de 20 à 30% de la consommation mondiale d'électricité. La frugalité énergétique des futurs dispositifs électroniques va devenir un critère majeur de performance, au même titre que la puissance de calcul, la vitesse, la miniaturisation ou le coût. D’où cet intérêt vis-à-vis de la spintronique.
Dans le cadre de ce programme qui s’appuiera aussi sur les universités Grenoble-Alpes, Paris-Saclay et Lorraine afin de structurer et dynamiser la communauté spintronique française, des industriels et des start-up seront associés. Les résultats et développements prévus dans le cadre du programme baptisé PEPR SPIN (Programmes et équipements prioritaires de recherche) pourront s’inscrire dans la stratégie nationale sur les composants, systèmes et infrastructures numériques, ainsi que dans celui des nouvelles agences annoncées par le président de la République le 7 décembre dernier.
Au-delà, à l’échelle européenne, les travaux issus du PEPR SPIN pourront alimenter le programme European Chips Act qui vise à retrouver de la compétitivité et de la résilience dans les technologies des semi-conducteurs.
Dans le détail, au sein du programme PEPR SPIN, cinq projets ont d’ores et déjà été lancés en novembre 2023, soit Chirex (aller au-delà des technologies Cmos traditionnelles avec des textures chirales), Toast (aller vers une technologie THz fondée sur le spin), Swing (travail sur les ondes de spin pour le traitement avancé de signaux), Spincom (réaliser de la spintronique radiofréquence pour des solutions de communication intelligentes) et Adage (mise au point des technologies de détection magnétique de nouvelle génération).
Parallèlement, le PEPR SPIN contribuera à renforcer trois projets transverses, Spinmat pour les matériaux avancés pour la spintronique, Spincharac pour le développement des équipements de caractérisation avancée et Spintheory concernant la théorie et la modélisation muti-échelle.
« Grâce au PEPR SPIN, la forte dynamique de la spintronique ouvrira des perspectives nouvelles dans les domaines du calcul, de l’IoT, des télécommunications, de la logique reprogrammable et des composants pour l’intelligence artificielle, autant de domaines qui répondent à de forts enjeux de souveraineté vis-à-vis des technologies de l’information, de la sécurité, de l’énergie et de la santé notamment sur les marchés de la défense, du nucléaire ou encore de l’aérospatial », soulignent les directeurs du PEPR SPIN, Lucian Prejbeanu et Vincent Cros, issus respectivement du CEA et du CNRS.
(*) Le spin est une grandeur quantique qui est assimilable à un moment magnétique intrinsèque à la particule, comme si l’électron était un minuscule aimant en rotation sur lui-même. De la même façon qu'un aimant possède un pôle nord et un pôle sud, le spin possède une “orientation” vers le haut (up) ou vers le bas (down). D’où son intérêt pour mettre au point des circuits électroniques nouvelle génération