"Internet des objets : le protocole radio Wize n’est pas une technologie de niche"Bien adaptée aux applications de télémétrie et de géolocalisation d’objets industriels difficiles d’accès, la technologie radio longue portée et basse consommation Wize, portée et soutenue par l’alliance du même nom fondée par GRDF, Suez et Sagemcom, revendique aujourd’hui 18 millions d’objets sur le terrain avec une forte présence sur le marché du "smart metering". Revue de détail par Éric Farnier, Technical Committee Executive Officer au sein de la Wize Alliance. Pouvez-vous rappeler les origines du protocole Wize ? Quels plus apporte-t-il par rapport au Wireless M-Bus sur lequel il s’appuie ? ERIC FARNIER Le protocole Wize trouve son origine lorsque GRDF a décidé de lancer son projet de compteur de gaz communicant. Dès 2006, Suez avait utilisé la fréquence de 169 MHz pour sa solution de télérelève de compteurs d’eau. En 2009 des tests ont été réalisés pour déterminer quel protocole pouvait répondre le mieux à la télérelève de compteur de gaz et dans ce cadre la fréquence de 169 MHz couplée à du Wireless M-Bus a démontré son efficacité. Le protocole Wize a repris ce standard en lui ajoutant une couche de sécurité, ainsi qu'un flux descendant performant. Le protocole Wize complète également le protocole Wireless M-Bus avec des spécifications de couches applicatives standardisées et un mode de mise à jour à distance défini et opérationnellement validé. L’alliance Wize a été créée en 2017 pour promouvoir le protocole du même nom. Sept ans après, quelles sont les réussites dont peut se revendiquer cette association ? ERIC FARNIER Tout d’abord, la création de l’alliance a permis de positionner clairement le protocole Wize en tant que protocole ouvert, avec la publication des spécifications et une liaison officialisée avec le comité technique du CEN (Comité européen de normalisation). On peut d’ailleurs noter que la contribution active de Suez à l’élaboration de la norme Wireless M-Bus a été saluée en 2022 par un trophée « Or Normes » remis par l’Afnor. Le rayonnement du protocole Wize en Europe et à l’extérieur a été largement favorisé par la création de l’alliance. On peut citer en particulier l’Australie, le Maroc ou encore Singapour qui sont maintenant des pays « Wize compatibles ». Suite à un appel à projet de 2020, nous avons par ailleurs fait émerger deux solutions techniques. La première est un kit de développement 100% open source disponible sous le nom Open Wize'Up, issu d’une collaboration entre le bureau d'études Alciom et GRDF. La seconde est une vanne de coupure d'eau avec la société Hydrelis. De plus, l'alliance a mis en place un système de certification des produits en lien avec la société LanPark. Le protocole Wize s’est d’abord imposé sur le marché des compteurs communicants semble-t-il. Existe-t-il des initiatives pour cibler d’autres secteurs verticaux ? Pouvez-vous citer des cas concrets de déploiement du protocole Wize sur de tels secteurs ? ERIC FARNIER Les deux principaux membres de l'alliance Wize (GRDF et Suez) utilisent de manière massive le protocole Wize dans leur fonction de distributeur. Pour Suez, nous pouvons citer la pré-localisation de fuites, la télécommande de vannes de coupures, la détection de remplissage de bacs d'apport volontaire, la surveillance du fonctionnement des réseaux d’assainissement sous vide ou gravitaires... Pour GRDF, la "digitalisation" du réseau est en cours (en lien avec la démultiplication des projets de production de gaz vert). Nous pouvons citer la protection cathodique, la baisse de pressions dans les colonnes montantes, la télérelève des gros consommateurs comme les industriels, ainsi que des aspects plus spécifiques en lien avec le métier. Le pilotage d’éclairage public est également une application récemment développée et très prometteuse ; la société Biyotee a déployé sur la ville de Nantes un réseau de transmetteurs utilisant le protocole Wize. Le protocole Wize est parfois qualifié de protocole de niche par certaines études de marché par rapport aux procédés Sigfox ou LoRa ou par rapport aux technologies cellulaires NB-IoT et LTE-M. Confirmez-vous ce constat ou Wize peut-il dans certains cas se positionner favorablement face aux autres technologies LPWAN ? ERIC FARNIER Les études de marché auxquelles vous faites allusion annoncent souvent les milliards d’objets IoT qui doivent selon elles arriver dans les prochaines années. Wize, c’est plus de 18 millions d’objets sur le terrain aujourd’hui. C’est objectivement plus que Sigfox, qui en annonçait 11 millions mi-2023. Wize apporte un vrai gain de performance pour les cas d’usage nécessitant de connecter des objets difficiles d’accès d’un point de vue radio, et devant fonctionner sur batterie pour des durées pouvant aller au-delà de 20 ans. Typiquement, le cas du Smart Metering pour les compteurs d’eau ou de gaz représente aujourd’hui le premier cas d’usage dans l’IoT "industriel". Wize n’est donc pas une technologie de niche. On pourrait par contre dire qu’elle est spécialisée. Wize est en fait le premier protocole LPWAN apparu sur le marché, avant même l’introduction marketing de cet acronyme et demeure le seul existant dans la norme Wireless M-bus. "Low Power" et "Long Range" sont en fait les maîtres mots qui ont conduit au concept Wize et à l’utilisation d’une fréquence basse comme le 169 MHz. Il est intéressant de noter que sur le marché nord-américain, pionnier et leader du domaine du Smart Metering, plusieurs solutions propriétaires exploitent des principes similaires (fréquence basse peu occupée, forte puissance d’émission). Le protocole Wize est avant tout un protocole dédié à des applications qui doivent être autonomes en énergie (20 ans) et offrir de bonnes performances de propagation. De ce point de vue, son adoption par GRDF avec l’aval de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) est une sérieuse garantie, puisque le compteur de gaz communicant Gazpar sera opéré jusqu’en 2042. Il est utilisable partout en Europe mais il est également développé dans d’autres régions du monde, au Royaume-Uni, en Asie, en Afrique et en Australie. Comme indiqué précédemment, il comporte à ce jour plus de 18 millions d'objets avec des taux de collecte de l'ordre de 98%. L'alliance Wize cherche avant tout à développer des cas d'usage qui apportent un sens au client et non de polluer le marché avec un éventail de capteurs plus ou moins de bonne qualité. A ce titre, dans le domaine du Smart Metering des compteurs d’eau et de gaz, il est intéressant de noter que Wize est la solution la plus déployée par les "utilities" en Europe. Et ce, sans prendre en compte les autres solutions basées sur le Wireless M-bus 169 MHz comme celles du gaz et de l’électricité en Italie qui représentent des millions de points déployés et en cours de déploiement. (ENEL intègre systématiquement une solution radio dans ces Smart Meters de seconde génération et a retenu le 169 MHz). Pourquoi choisir Wize par rapport à d’autres approches de communication sans fil ? Sur quels critères ? ERIC FARNIER La combinaison de la technologie Wize et de la fréquence de 169 MHz offre intrinsèquement un bien meilleur taux de pénétration que les autres technologies utilisant des fréquences plus élevées comme 433 MHz ou 868 MHz. Ceci a un double avantage : la consommation énergétique est limitée, ce qui permet de garantir des durées de vie plus longues, et la propagation est maximale (en champ libre elle peut atteindre 50 km). La bande de fréquence 169 MHz est par ailleurs sanctuarisée par la réglementation européenne. Cette bande de fréquence protège les objets communicants des interférences rencontrées sur les bandes de fréquence d’usage général (applications domestiques…). Parmi les autres avantages, on peut citer la durabilité, les réseaux mis en place ayant une obligation de maintenance de 20 ans, les performances du protocole en matière de remontée d'information en deep indoor, ainsi que la qualité de collecte avec un taux de collecte de l'ordre de 98%. La capacité à mettre à jour à distance un grand volume de capteurs, soit pour modifier des paramètres, soit pour changer le logiciel interne pour lui attribuer de nouvelles fonctionnalités, est aussi un plus. D’un point de vue client, cela se traduit sur le terrain par des performances techniques plus élevées, un coût global de projet (TCO) réduit et une sécurité renforcée. Quel est aujourd’hui le taux de couverture de la technologie Wize dans l’Hexagone ? Avec quel nombre de stations de base (et pour quelle portée moyenne) ? Par qui sont gérées ces stations de base ? ERIC FARNIER L'Hexagone possède deux grands réseaux Wize, l’un administré et géré par GRDF qui comporte plus 10 000 antennes, et l'autre par Suez qui est composé de 4 000 gateways. Les deux réseaux couvrent plus 85% de la population française et plus de 80% du territoire. Les réseaux sont ouverts à des tiers. Pour celui de GRDF, il faut passer par sa filiale Iowizmi pour accéder au réseau. Pour le réseau de Suez, il faut passer par sa filiale Suez Smart Solutions. Il est également possible pour des tiers d’opérer leur propre réseau comme le font par exemple Régaz-Bordeaux ou GreenAlp aujourd’hui. Qu’en est-il du protocole Wize hors des frontières françaises ? ERIC FARNIER En Europe, le second pays où Wize est déployé est l’Espagne avec plus de 3 millions de compteurs d’eau opérés et de belles perspectives d’accroissement. Nous pouvons aussi citer Malte qui a adopté la technologie depuis plus de dix ans pour la totalité de ses compteurs d’eau (toujours en service sans remplacement), ou bien la République tchèque. De nombreux pilotes sont également en cours au Royaume-Uni. La technologie Wize rencontre également aujourd’hui un bon succès en Australie et en Asie (Hong Kong, Macao,...) avec plusieurs déploiements réalisés et de nombreux pilotes. En Afrique, un réseau Wize est déployé au Maroc pour la détection de fuite sur les réseaux d’eau potable et couvrira les compteurs d’eau et d’électricité. D’autres pilotes existent également dans différents pays. Existe-t-il des initiatives pour faire évoluer le protocole Wize ? ERIC FARNIER L'ensemble des évolutions du protocole sont encadrées au sein de l'alliance Wize via un comité technique. Chaque membre peut faire une demande d'évolution qui est ensuite étudiée par un ou plusieurs groupes de travail avant d'être validée puis intégrée au protocole. Les nouvelles applications comme le pilotage de l’éclairage ou la gestion de compteurs électriques amènent des évolutions (mode de fonctionnement en écoute permanente pour les objets alimentés par le secteur, gestion de données et de commande au format DLMS…) qui seront publiées prochainement. Un partenariat a été signé en 2019 avec l’opérateur de satellites Kinéis. Est-ce toujours d’actualité ? ERIC FARNIER Ce projet est toujours au stade de la recherche et développement et n’a pas encore débouché sur une application concrète, mais il s’inscrit bien dans l’esprit de Wize qui est d’offrir une solution de couverture IoT pour les points les plus difficiles d’accès. Propos recueillis par Pierrick Arlot |