"La technologie eFPGA pourrait devenir la solution incontournable au niveau de l’edge computing"L’eFPGA est un bloc d’IP que l’on peut intégrer dans une puce-système SoC ou un circuit Asic et qui offre la flexibilité de programmation de la logique programmable sans le coût traditionnellement associé aux FPGA. Cette technologie a aujourd'hui le vent en poupe du fait de l'arrivée incessante de nouveaux algorithmes (IA, sécurité...) qui ont besoin d’accélération adaptative et qui évoluent sans cesse, et de la rupture technologique que constitue l'edge computing. Explications de Yoan Dupret, directeur technique de la société française Menta (1), l’une des rares sociétés au monde spécialisées dans la technologie eFPGA. Aujourd’hui la technologie eFPGA semble particulièrement recherchée. Quelle est la raison de cet engouement ? YOAN DUPRET Il existe plusieurs raisons qui poussent à cette évolution, qui sont notamment liées à des ruptures technologiques récentes. Il y a d’abord, on le constate tous les jours, l’arrivée incessante de nouveaux algorithmes qui ont besoin d’accélération adaptative, que ce soit dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), de la cybersécurité, des protocoles réseau ou du traitement de données hyper-parallèles. On voit aujourd’hui clairement la nécessité d’apporter des capacités d’accélération à ce type d’algorithmes au niveau des centres de données, là où se concentrent les efforts du champion des processeurs graphiques Nvidia, des spécialistes des gros FPGA comme AMD-Xilinx ou Intel (fort de son rachat d’Altera) ou des fournisseurs de processeurs IA spécifiques (comme Google avec ses TPU). Sachant qu’il est particulièrement inefficace de les faire tourner sur des processeurs généralistes (CPU). Par ailleurs ces algorithmes évoluent eux-mêmes très vite, en tout cas bien plus vite que les capacités de conception d’une puce-système, qui nécessite aujourd’hui environ deux à trois ans de développement et d’industrialisation… avec des coûts qui augmentent inexorablement. On parle désormais d’un investissement de l’ordre de 100 millions de dollars pour des circuits relativement complexes ! D’où l’intérêt de puces qui puissent conserver un niveau d’adaptabilité important même une fois déployées sur le terrain. Ce que permet la technologie eFPGA notamment… Avec votre technologie, vous mettez en avant également le respect des contraintes d’encombrement, de vitesse d’exécution et de consommation des applications visées… YOAN DUPRET Oui, et cet aspect entre en résonance avec une deuxième rupture technologique que le marché connaît aujourd’hui et qui n’est autre que l’edge computing. Un domaine où l’utilisation de la technologie eFPGA prend tout son intérêt, en particulier sur le marché de l’Internet des objets, au niveau de ce qu’on appelle le deep edge ou les edge devices. Il faut se souvenir qu’il y a une dizaine d’années encore, on envisageait à terme de récolter les informations récupérées par toutes sortes de capteurs et de les remonter au travers d’infrastructures 5G, puis 6G, vers le cloud. Cette vision n’est plus de mise. Le transport de flux massifs de données brutes imposerait le déploiement d’infrastructures très chères et un déplacement d’énergie jugé désormais incompatible avec un monde plus vert. L’aspect sécurité, en évitant de transférer des données critiques vers le cloud, n’est pas non plus à sous-estimer. Au niveau de l’edge, on veut donc aujourd’hui effectuer des traitements IA, faire tourner des algorithmes de sécurité, et là encore il y a le besoin d’accélérer les opérations, comme dans le cloud, mais avec un coût plus faible, une énergie réduite, des dimensions compactes. Dans ces conditions, l’usage de processeurs graphiques GPU au niveau de l’edge est une hérésie et les FPGA traditionnels sont à la fois trop chers et trop gros. La solution, c’est donc d’opter pour l’eFPGA, qui se présente comme un bloc d’IP que l’on peut intégrer dans une puce-système SoC ou un circuit Asic, et qui offre la flexibilité de programmation de la logique programmable sans le coût traditionnellement associé aux FPGA. Avec en sus la possibilité de reconfigurer l’eFPGA pendant de longues années pour répondre à de nouveaux besoins. De la même manière que la société Arm a pu s’imposer dans la téléphonie mobile en proposant un cœur de processeur à embarquer dans une puce complexe, l’eFPGA pourrait devenir la solution incontournable au niveau de l’edge… Sous quelle manière la société Menta commercialise-t-elle sa technologie eFPGA ? YOAN DUPRET Sur le marché des eFPGA, où les sociétés peuvent se compter sur les doigts d’une seule main, il existe différentes approches que l’on peut séparer en deux grandes catégories : les Hard IP et les Soft IP. Sachant que Menta propose ces deux approches. Dans le premier cas, l’eFPGA est commercialisé comme un fichier binaire GDSII qui représente le dessin physique d’un circuit intégré. Il est donc calibré pour un nœud technologique précis et pour une société de fonderie particulière (TSMC par exemple). Dans le cas des Soft IP, l’eFPGA est proposé sous la forme d’un fichier de description RTL synthétisable. Il faut alors que le client, un partenaire ou le spécialiste de l’eFPGA lui-même fasse le travail d’adaptation et d’implémentation physique. A cet égard, je tiens à préciser que depuis 2015 et la version 3 de notre technologie, Menta dispose de Soft IP. Nous les avons d’abord utilisées en interne pour en réaliser des adaptations pour nos clients (que nous leur proposions alors en tant que Hard IP). C’est depuis décembre 2021 que nous commercialisons aussi notre technologie en tant que Soft IP. Au global aujourd’hui, nos eFPGA ont été intégrés sur treize nœuds technologiques différents auprès de cinq fonderies. Qui utilisent aujourd’hui les eFPGA de Menta ? YOAN DUPRET Les early adopters de notre technologie eFPGA ont été des sociétés et organisations du secteur de l’aérospatial et de la défense, avec des projets souvent liés à la cryptographie et à la sécurité. Parmi celles-ci, on peut citer l’une des trois premières entreprises du secteur de la défense américaine, l’Agence spatiale européenne (ESA), la Direction générale de l’armement (DGA), Thales Alenia Space, l’institut Fraunhofer (pour des applications militaires) ou encore TSS (Trusted Semiconductor Solutions), l’une des deux design houses de semi-conducteurs habilitées par la Défense américaine. Depuis la disponibilité commerciale de notre technologie sous forme de Soft IP, d’autres clients sont venus s’ajouter à cette liste comme le centre de recherche japonais RaaS (Research Association for Advanced Systems) ou bien un équipementier chinois qui prévoit de déployer plusieurs dizaines de millions de stations de base 5G par an équipées de notre technologie eFPGA. Aujourd’hui nous commençons à signer avec des premiers clients dans le domaine de l’Internet des objets industriel et nous avons bon espoir de percer aussi dans le secteur automobile, mais celui-ci est forcément plus long à pénétrer. Auprès de quelles entreprises Menta commercialise-t-elle ses eFPGA ? Travaillez-vous avec des partenaires ? YOAN DUPRET De manière globale, nos clients sont des équipementiers, des fabricants de semi-conducteurs, des design houses qui travaillent pour des sociétés qui souhaitent développer leurs propres puces. Nous avons parallèlement entamé des partenariats avec des entreprises du monde des IP et notamment avec des fournisseurs de cœurs de processeur RISC-V comme Codasip (avec qui nous présentions un prototype en mars à l’occasion du salon Embedded World 2023) ou Andes Technology. Ici le cœur RISC-V et l’eFPGA collaborent de concert pour répondre au même principe d’adaptabilité recherchée par les fabricants de puces faible consommation pour coller aux améliorations continues des algorithmes. Nous comptons aussi parmi nos partenaires des spécialistes des IP de sécurité comme Rambus ou Secure-IC. Finalement un véritable écosystème se met en place autour de Menta. Lors du salon Embedded World 2023, Menta a tenu à réaffirmer le rôle-clé des eFPGA pour l’industrie des semi-conducteurs. Pouvez-vous préciser ce point ? YOAN DUPRET A l’heure actuelle, le développement de l’industrie des semi-conducteurs pour réduire la dépendance de l’Europe est au cœur des débats au Parlement européen et cela passe par un renforcement nécessaire de la capacité technologique et d’innovation. Or avec les eFPGA, nous disposons d’une brique qui répond aux défis que posent l’accélération de la puissance de calcul et l’obsolescence rapide des algorithmes. A ce titre, notre société, qui propose aujourd’hui la seule solution du vieux continent en logique programmable embarquée, est engagée dans plusieurs projets européens. Je citerai notamment le projet MOSAICS-LP que nous pilotons. L’objectif est d’exploiter les eFPGA au sein d’une technologie du CEA pour créer un écosystème de chiplets (2) afin de diviser les temps de fabrication d’une puce par quatre et les coûts par dix. Ce projet, qui sera lancé prochainement, vise à favoriser le développement en Europe de puces dites hétérogènes qui permettrait à l’Europe d’augmenter de manière très significative sa capacité de production de puces et se rapprocher de l’objectif de produire et concevoir 20% des circuits intégrés du monde. Nous avons aussi rejoint le consortium NimbleAI, lancé officiellement en novembre 2022, qui a pour objectif d’améliorer l’efficacité énergétique et la performance des puces neuromorphiques. Les partenaires du consortium ont été soigneusement sélectionnés afin de couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur des semi-conducteurs afin de garantir que tout ce qui résulte de ce projet soit pertinent pour l’industrie. Le projet NimbleAI a pour but de créer une architecture empilée de type 3D sur silicium dévolue à la détection et au traitement neuromorphique. Cette architecture sera apte à exécuter de manière efficace et précise divers algorithmes de vision artificielle au sein de puces aux ressources limitées et aux dimensions compactes, destinées à des objets ou équipements embarqués. Menta est aussi membre du projet EPI-SGA2 dont l’objectif principal est de concevoir une nouvelle famille de processeurs basse consommation pour les calculs hautes performances (HPC) afin d’assurer l’autonomie technologique et la souveraineté du vieux continent en la matière. Nous sommes plus particulièrement impliqués sur le volet automobile. (1) Créée en 2007 et basée à Sophia Antipolis, la société Menta a bénéficié en 2022 d’un financement de 7,5 millions d’euros par la Banque européenne d’investissement. L’effectif de l’entreprise s’élève aujourd’hui à 26 personnes dont 19 en recherche et développement. (2) Notion apparue récemment, le chiplet est une sorte de circuit intégré compact qui embarque un sous-ensemble bien défini de fonctionnalités et qui peut être associé à d’autres chiplets dans un même boîtier par le biais d’un interposeur. |