En capturant des données vibratoires au sein d'un véhicule en mouvement et en analysant ces données par rapport à une blibliothèque de signatures vibratoires, la start-up française Carfit apporte la notion de maintenance prédictive à des organes passifs des automobiles, jusque-là peu considérés par les constructeurs en termes de surveillance active : pneus, freins, amortisseurs......
Alors que la plupart des jeunes sociétés investies dans le domaine de la maintenance préventive, voire prédictive, des automobiles mettent en œuvre les données recueillies via la prise OBD (On-Board Diagnostic) présente obligatoirement sur les véhicules actuels, la jeune société française Carfit suit une route très différente. Au lieu de s’intéresser aux caractéristiques du moteur, la start-up porte son attention sur l’analyse des consommables de la voiture (pneus, freins, amortisseurs, etc.), autant d’organes passifs pour lesquels il n’existe pas réellement de suivi de maintenance reposant sur des données factuelles. Comment ? En analysant les vibrations de l'automobile via un capteur qui s’installe directement sur le volant du véhicule.
Eric Espinasse, cofondateur et directeur commercial de Carfit
« L’idée est de faire l’inverse de ce que font les constructeurs automobiles qui injectent du bruit vibratoire pour analyser une pièce mécanique et obtenir une signature vibratoire, explique Eric Espinasse, cofondateur et directeur commercial de la société. Nous récupérons les vibrations d’un véhicule en marche pour y détecter des anomalies, c’est-à-dire en extraire par traitement de signal les vibrations anormales par rapport à une bibliothèque standard de signatures vibratoires. »
Créé en 2016, Carfit trouve son origine dans le savoir-faire et les travaux menés par Nicolas Olivier, l’actuel CEO, sur des montres et bracelets connectés, et par Peter Hauser, l’actuel CTO, au niveau des algorithmes de traitement de signal des données vibratoires. La première implantation de la société s’est faite à Portland aux Etats-Unis, avec par la suite des bureaux créés en France à Lille (au sein des locaux de l’incubateur lillois Euratechnologies) et à Paris (au sein du Hub de Bpifrance). Les algorithmes mis au point par Peter Hauser ont été à l’origine validés par la société d’ingénierie belge LMS, rachetée en 2012 par Siemens et spécialisée dans les outils de simulation, d’analyse sonore, de systèmes d’essai pour les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique notamment. Cette expertise dans le domaine du NVH (Noise and Vibration Harshness) est en fait le cœur technologique de Carfit. La société a ainsi constitué une base de données vibratoires unique, en fait les empreintes sonores de centaines de véhicules en sortie d’usine, avec lesquelles il est possible de comparer les résultats obtenus in situ dans les voitures.
Un capteur spécifique
Pour la prise des données dans les véhicules, Carfit a développé un capteur spécifique, le Puls, galet de 50 mm de diamètre qui se colle sur le volant. A l’intérieur se trouvent un accéléromètre 3D, un gyroscope, cinq LED, une mémoire tampon, capable d’enregistrer 30 heures d’acquisition de données, et une liaison Bluetooth LE, le tout orchestré par un microcontrôleur fondé sur un cœur ARM Cortex-M4. Les données sont acquises à haute fréquence, entre 200 et 400 Hz typiquement, avec une signature vibratoire qui évolue au fil du temps selon l’usage du véhicule. Les données recueillies et analysées sont ensuite consultables sous forme de graphiques sur un smartphone.
« Actuellement 10% de l’analyse des données est réalisée dans le véhicule, et 80-90% dans le cloud, explique Eric Espinasse. A l’avenir, avec la version 2 du capteur Puls, nous souhaitons inverser cette tendance et avoir un traitement effectué à 40% dans le boîtier et 60% dans le cloud. L’idée étant de favoriser et d’optimiser la maintenance prédictive, sans avoir besoin de connectivité. »
Grâce aux algorithmes d’apprentissage automatique et d’analyse des vibrations, la technologie de Carfit imite et reproduit ce qu’un expert ressent en pilotant un véhicule et en détectant des bruits anormaux au niveau des pneus, des amortisseurs, des freins… Avec un enjeu important puisque, selon Carfit, 40 % du budget de maintenance d’un véhicule est consacré au remplacement des pièces d'usure du train roulant lorsque ces pièces sont très peu suivies, même sur les voitures neuves.
Des travaux avec des constructeurs automobiles
Carfit, qui compte une équipe d’une quinzaine de personnes, travaille d’ores et déjà avec des constructeurs automobiles (Jaguar et Land Rover ont participé à une première levée de fonds en 2016 de 2,3 millions d’euros) ainsi qu'avec des centres de réparation comme Norauto (qui appartient au groupe Mobivia, qui a lui aussi participé au financement de Carfit) et des exploitants d’autoroutes comme Vinci (via un badge de télépéage avec comme objectif d’anticiper les pannes sur les autoroutes et donc les interventions). Une seconde levée de fonds supérieure à 10 millions d’euros est cours de finalisation.
Enfin, signalons que tout récemment, Carfit et le CEA se sont associés dans le cadre d’un laboratoire commun pour l’étude des vibrations automobiles sous l’angle de la mise au point d’outils d’intelligence artificielle capables de les analyser. Objectif : développer des solutions optimisées de maintenance prédictive pour les véhicules utilitaires légers.